Je pagaie. Soyez patient ...

Expé. Groenland 2008. Un texte de Eric Vegeant

Rando 2008 au Groenland

un rêve d’enfant réalisé

Texte de Eric Vegeant

Voilà le titre qui résume mes souvenirs après 2 semaines de voyage au Groenland les 2 premières semaines d’Aout 2008.

Je ne vais pas décrire les aspects pratiques du voyage. , l’article d’Yves Beghin constitue une excellente fiche technique sur le Groenland, sur les préparatifs et le déroulement d’une randonnée kayak en baie de Disko en période estivale. (voir en page expéditions)

Je vais simplement témoigner de la chance que j’ai eu de pouvoir réaliser cette part de rêve. Depuis toujours j’ai eu envie d’approcher les terres polaires. La banquise, les ours blancs, les baleines, les igloos, les chiens de traineaux, les eskimaux… tout cela a fait partie de mon imaginaire de jeune enfant. Plus tard, j’ai rêvé avec les récits ou reportages de Paul Émile Victor ou de Jean Malaurie. Bien sur, en 2 semaines, il n’est pas possible de tout vivre, même une seule année ne suffirait pas, car toutes ne se ressemblent pas. Pourtant, ce voyage, même court, a fait partie dans ma vie, d’une étape que je devais absolument réaliser.

Le Groenland c’était un rêve. Le kayak de mer, c’était au début simplement une activité de loisir me permettant de faire un peu de sport au contact de la nature. Le lien entre les deux a pris forme lors du salon « Rêves Arctiques » organisé à Binic par Christian Scalbert en 2002. Ensuite grâce à BKM puis à Manche Ouest, je me suis un peu plus initié à la pratique du kayak en mer et j’ai participé à quelques randos weekend en Bretagne. J’ai fait la connaissance de personnes attachantes qui ont contribué à développer mon intérêt pour le kayak et mon désir de voyage. J’ai notamment rencontré Kevin Mansel, coach de Jersey, avec qui j’ai eu la chance de partir au Groenland. Kevin est une référence dans le monde du kayak de mer, avec de nombreuses heures de pagaie et de nombreuses expéditions à son actif… et Kevin est surtout un homme passionnant, à la fois discret et attentif, sérieux et sachant plaisanter, avec qui on peut parler de tous les sujets de la vie. La vie de groupe contribue beaucoup à la réussite d’un tel voyage et ça a été parfait : nous étions 6 et nous nous connaissions assez peu, mais nous avons tout de suite formé une super équipe, chacun trouvant son rôle pour assumer les contraintes matérielles dans la bonne humeur. Nous étions donc 6 : j’ai déjà cité Kevin, il y avait aussi Gilles, Thierry, Pierre-Yves et Gaëlle pour donner vie à cette aventure. Le temps passé ensemble a été extraordinaire et au retour nous avons tous eu un peu de mal à reprendre nos rythmes habituels.

Kevin Mansel (photo Gilles Pindat)

Quelles sont donc mes impressions sur le Groenland ? Pas possible de les livrer toutes… L’approche avec ce pays démarre peu de temps après avoir décollé de Copenhague, lors du survol des fjords norvégiens, puis s’intensifie lorsqu’on est au dessus de l’Inlandsis, cette croute de glace qui recouvre encore 85% du Groenland en été. Elle est bien là au dessous de nous, malgré son apparence irréelle, immaculée, chaotique…

Le premier contact avec le sol Groenlandais c’est à Kangerlussat, ancienne base américaine, peu d’habitations en fait, et à notre arrivée, presque une allure de paysage californien, aride, de grandes pistes en terre… et beaucoup de touristes en VTT partant approcher l’Inlandsis tout proche. Ne pas s’y tromper quand même, on est bien au Groenland et des amis de Jersey qui sont repartis fin Aout ont vu le même paysage recouvert de neige !

Une dernière correspondance avion et un peu plus tard nous atterrissons à Illulissat. Cette fois nous sommes vraiment au Groenland, dans la baie de Disko encombrée d’icebergs, déversés par l’Isfjord tout proche, un gigantesque glacier. Nous sommes accueillis par Kamp, un ami Groenlandais de Christian. Kamp est à l’origine de la renaissance du kayak de mer dans la région. Il nous conduit au camping situé à proximité de l’Isfjord, que nous aurons le temps d’admirer plus tard dans la soirée en montant sur une colline proche… le jour n’en finit pas de décliner à l’horizon mais sans jamais disparaitre, cela laisse le temps d’apprécier ce qui nous entoure. En chemin vers le camping, le premier moment fort, c’est quand Kamp nous montre ses chiens. Les chiens sont nombreux à Illuslisat, attachés à plusieurs endroits en ville, leurs aboiements sont particuliers, entre aboiement et hurlement… cela nous plonge rapidement dans une atmosphère « Grand Nord ». Avoir été accueilli par Kamp, peu bavard mais très expressif, aura beaucoup contribué à l’ambiance groenlandaise du séjour. Nous aurions aimé pouvoir discuter un peu plus avec lui, qui semble tiraillé entre l’évolution moderne de son pays (bousculé par les « stupid europeans » qu’il aime bien quand même) et une nostalgie du passé et des traditions de ces rudes chasseurs et pêcheurs autochtones, qui ont bien le droit de manger de la baleine, sinon il ne leur reste plus que « la glace et les cailloux ».

Kamp Absalonsen (photo Eric Végeant)

De la baleine, nous n’avons pas eu l’occasion d’en manger… par contre nous en avons vu beaucoup sur l’eau, à proximité d’Illulisat. Cela restera un souvenir fort du voyage : c’est fantastique de pagayer à quelques mètres de ces énormes mammifères marins qui sortent de l’eau et plongent sans faire d’éclaboussures. Nous les entendons avant de les voir. Nous sentons aussi une étrange odeur de poisson lorsqu’on pagaye au dessus d’elles. Les suivre est envoutant. Je peux imaginer la griserie des chasseurs de baleines aux siècles derniers.

Baleine à bosse (photo Gilles Pindat)

A défaut de baleine pour nos repas, nous avons testé le bœuf musqué, le phoque frais, c’est excellent ! Le renne et le phoque séché… c’est bien aussi, surtout en apéritif après une journée sur l’eau ! Et après notre retour de rando, juste avant notre départ, notre ami Kamp nous a fait un grand cadeau en nous offrant du flétan mariné pour le déjeuner.


Nous n’avons pas pris le temps de visiter Illulisat à notre arrivée, trop impatients de partir sur l’eau, mais nous avons profité un peu de la ville à notre retour. Aspect contrasté avec de petites maisons de bois colorées sur un sol rocheux au bord de la mer, pour le charme polaire que l’on recherche, mais aussi de grands immeubles sans âme et beaucoup de nouveaux hôtels en construction, témoins du développement d’un tourisme bien différent de celui que nous recherchons. Cependant, cet « afflux » relatif de touristes à Illulisat donne un caractère très animé à la ville, et les Groenlandais sont bien présents au milieu de ces mouvements, avec beaucoup d’enfants qui paraissent assez joyeux.

Nos contacts avec la population ont été limités, car nous n’avons pas eu beaucoup de temps à Illulisat, et nous avons croisé peu de monde ailleurs : à partir du deuxième jour de navigation, après avoir passé le petit port de Rodebay, on croise en moyenne deux bateaux de pêche par jour. A chaque fois, ils prennent le temps de nous saluer. Un soir, dans un coin isolé prés de Qeqertaq, un couple d’Inuit nous rend visite alors que nous venons juste d’installer notre bivouac. Nous ne parlons pas leur langue et eux ne parlent pas Anglais… on se contentera donc de se présenter par nos noms, mais j’ai déjà oublié les leurs.

Le seul village que nous avons visité en 12 jours est Saqaq, légèrement au nord du 70ème parallèle, le point le plus au nord de notre périple. Nous y sommes arrivés à pied, car la mauvaise visibilité à cause du brouillard nous a bloqué 2 milles avant. La veille nous avions vu d’énormes icebergs, et la nuit nous avions entendu en permanence des détonations, comme si nous étions sur un champ de bataille. Alors, pour raison de prudence, nous avons préféré de pas naviguer. Ces immenses blocs de glace sont potentiellement dangereux. Leur masse et leur forme varient au fur et à mesure de la fonte, provoquant un déplacement du centre de gravité qui peut conduire à un retournement soudain, provoquant des vagues brutales. Ils peuvent aussi se scinder en plusieurs morceaux qui entrent en collision… mieux vaut ne pas se trouver au milieu. Par contre, de loin c’était un spectacle superbe : nous entendions comme un grondement de tonnerre et nous cherchions à localiser le bruit afin d’observer les mouvements produits par le phénomène.

Saqaq est un petit village, où  nous sommes donc arrivés vers midi après 2 heures de marche. Cela n’a pas favorisé de rencontre avec les locaux. Il ne faisait pas très beau, c’était l’heure de fermeture de l’unique magasin, et les habitants étaient enfermés chez eux. Malgré tout le village ressemblait tout à fait à l’idée que je pouvais m’en faire : chiens attachés à l’entrée, petit héliport matérialisé par des bidons d’essence, maisons colorées sur les rochers dominant la baie, canalisations apparentes, bric à brac devant les maisons. C’est joli et un peu désolé à la fois. Certaines personnes y trouvent un air abandonné, ce n’est pas tout à fait mon impression : pour moi c’est l’expression d’une vie qui doit se concentrer sur ce qui est fonctionnel et indispensable, parce que les conditions sont trop rudes pour entretenir une infrastructure complexe. Il faudrait rester quelques mois pour se faire une vraie idée de la vie ici.

Hormis le brouillard et un peu de pluie vers Saqaq (2 jours), nous avons eu une chance formidable avec le temps et les conditions de mer : soleil, pas de vent ou très peu, mer le plus souvent comme un miroir. Cela nous a permis de nous espacer sans danger sur l’eau et de pouvoir profiter pleinement de l’immensité de l’espace s’offrant à nous. Pendant les rares passages un peu plus engagés (un peu de vent, courant, légères vagues), nous sommes restés proches, car en cas de chavirement il aurait fallu réagir très vite : même si la température extérieure était au dessus de 10°, l’eau était à 2 ou 3°, et même bien équipé, il ne faut pas y rester plus d’une minute.

Iceberg en baie de Disko (photo Eric Végeant)

J’ai parlé des grands icebergs, mais la glace au Groenland c’est aussi tous les petits blocs de glace qui proviennent de la fonte des glaciers mais aussi de la banquise formant ce qu’on appelle « le pack ». Ils peuvent rendre la navigation parfois difficile : il faut se frayer un passage à travers des chenaux en faisant attention qu’il n’y ait pas de danger qu’ils se referment comme un piège. Mais quel spectacle !

La randonnée en kayak, ce n’est pas seulement ce qui se passe sur l’eau, c’est aussi la vie à terre. Dés le premier bivouac, ce fut merveilleux : impression de liberté totale, la terre appartient a tout le monde au Groenland, donc on campe où l’on veut, si on peut… sauf à Illulisat où c’est organisé, mais sous forme d’une simple aire naturelle de camping, où nous ne sommes pas parqués comme dans la plupart de nos campings français, où pour entrer, il faut maintenant badger et attendre l’ouverture de la barrière (horreur, on croit alors aller à l’usine ou au bureau !). Les suivants furent tous aussi réussis, avec toujours cette joie de se retrouver dans une nature intacte, nous procurant l’essentiel : l’eau potable. Pour la nourriture, heureusement, nous avions nos réserves de randonneurs civilisés, car nous n’avons pas été de bons pêcheurs (1 poisson en 12 jours, mais quand même des moules en abondance) ni de bons cueilleurs (peu de champignons, sans doute il faisait trop sec !). Nous avons pris aussi le temps de marcher, grimpant au sommet des collines, souvent plus hautes que ce que nous pensions, afin d’évaluer si la route du lendemain serait plus ou moins encombrée par les glaces. En chemin nous avons repéré des traces d’occupation par l’homme, plus ou moins anciennes : vestiges de campements, sépultures anciennes ou cimetières plus récents. Nous avons vu peu d’animaux à terre, mis à part les chiens à Illulisat et Saqaq, nous avons aperçus deux fois seulement des renards et lièvres polaires… par contre, nous avons subi beaucoup, beaucoup de moustiques !

Voilà, difficile pour moi d’en dire plus. Il y a des choses qui se vivent sur place et se racontent difficilement. Même les plus beaux récits faits par les meilleurs, les plus belles photos, les plus beaux reportages, ne peuvent avoir la dimension de la présence sur place. Il faut intégrer soi même ce que l’on voit, entend, ressent. Merci encore à tous ceux qui m’ont permis de réaliser une aussi belle part de rêve. Bien sur, j’ai envie d’y retourner… et aussi de découvrir d’autres contrées nordiques !

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